Comme la maison précédente, celle d’Espinchal (42) est l’une des plus anciennes et des plus considérables de la province d’Auvergne. Elle remonte à Bertrand d’Espinchal, né avant 1219, qui partit pour la croisade, en 1248, avec plusieurs autres gentilshommes d’Auvergne, du Gévaudan, du Vivarais et du Velay (43).
Au mois de mai 1250, se trouvant sur le chemin de la Terre Sainte, Bertrand d’Espinchal emprunta, sous la caution du comte de Poitiers, 250 livres tournois à Guittaro-Shaffa, marchand génois. Ses armes, comme celles de la famille de Chanaleilles, figurent à la salle des croisades de Versailles. Il semblerait que la famille d’Espinchal ait tiré son nom de la terre d’Espinchal, sise en Planèze, non loin de Neuvéglise, à cause des trois épis figurant dans le blason et non du Cézalier où la culture des céréales est très rare.
Pierre II (appelé aussi Guillaume), baron d’Espinchal, des Ternes, de Tagenac et de La Clause (44), fils de Gilbert d’Espinchal et de Bertrande de La Tour Rochebrune, habitait au château des Ternes (45). II fut tué dans un combat près de Brives à la tête de la Noblesse d’Auvergne qu’il commandait.
De son mariage avec Jeanne de Létoing-Montgon, il laissa dix enfants dont François, 1er du nom, qui continuera la lignée, et une fille, Madeleine, dame d’honneur de la reine Marguerite De Valois, qui épousa, le 28 février 1573, au château des Ternes, son voisin, Jehan De Lastic Sieujac (46). Celui-ci se rendit très célèbre pendant les guerres de religion par son dévouement à la Ligue dont il fut l’âme dans la région de Saint-Flour. Ce ménage, appelé à de hautes destinées, réalisait l’union de deux puissantes familles de la Haute-Auvergne.
François 1er d’Espinchal, baron d’Espinchal, des Ternes, de Tagenac, La Clause, épousa, le 7 octobre 1584, Marguerite d’Apchon, dame de Massiac, fille d’Arthaud d’Apchon et de Marguerite d’Ablon Saint André, dame d’honneur de la reine Catherine (47). Par ce mariage, François devenait seigneur de la totalité des terres de Massiac dont une partie avait déjà été apportée en dot à son aïeul Antoine par Marie De Rochefort d’Ally. A partir de cette date (1584), les d’Espinchal habiteront de préférence le château de Massiac qui restera leur propriété jusqu’au XIXe siècle (48).
François d’Espinchal et Marguerite d’Apchon eurent neuf enfants :
1° — Jacques qui suit, seigneur de La Clause.
2° — Charlotte, née en 1587, épousa Antoine de Belvezet.
3° — Antoine, né en 1588.
4° — Jehan, né le 9 septembre 1589, devint lieutenant général des galères du roi, puis gouverneur du roi. Il épousa N. De Chabannes-La Palice qui ne lui donna aucun enfant, semble-t-il. Le 21 novembre 1619, Jehan d’Espinchal assistait, au château de Sieujac — paroisse de Neuvéglise, à 8 km environ des Ternes — à la rédaction du contrat de mariage de sa cousine germaine Marguerite De Lastic, troisième fille de Jean De Lastic et de Madeleine d’Espinchal, avec Jacques De Sévérac (49), mais il ne resta pas longtemps dans le pays où son activité ne pouvait trouver à s’employer. Entraîné par le goût des aventures, il prit du service dans la marine ; c’était le beau temps des corsaires et, aux Antilles, « Frères de la Côte » et « Flibustiers » menaient contre les Espagnols une rude guerre. Jehan d’Espinchal fit dans la marine une carrière des plus remarquables, parvenant au grade élevé de lieutenant général des armées navales et galères de France. Il acquit la plus brillante renommée par ses succès contre les Anglais. Un sérieux avantage qu’il prit sur eux à Gibraltar lui valut les Ordres du Roi et le gouvernement du château de Murat. II mourut, en 1672 (50), à Page de 83 ans, portant le titre de maréchal de camp des armées du roi et chevalier de ses ordres.
5° — Pierre, né en 1592.
6° — Jacques, 1594.
7° — Gabriel, 1595.
8° — Louis, 1597.
9° — Claude, 1599.
Le 17 septembre 1608, François d’Espinchal rend hommage à François De Lorraine, représenté par sa mère, Marie De Luxembourg, duchesse De MercÅ“ur, de la seigneurie de La Clause. Partageant les idées politiques de son beau-frère, Jean De Lastic, il fut, comme lui, un ligueur convaincu (51). Il fit partie des délégués de la noblesse de MM. De Montgon, De Brezons, d’Espinchal, De RanciIIac et De La Chaumette. Mais que devenait donc le château de La Clause en cette triste période où les disciples du Christ s’entretuaient ?
Le 3 décembre 1573, succédant au capitaine Mas, Joseph De Montroignon, reçut de Mgr De Montmorency, gouverneur en Languedoc, une commission de 100 hommes d’armes pour venir défendre la ville de Salgue et le château de La Clause (52). Au début de l’année suivante, 40 arquebusiers étaient attribués à Saugues qui, grâce à ses remparts, à son célèbre donjon et à ses couleuvrines, ne fut pas prise par les Huguenots, commandés par le capitaine Bau, tandis que La Clause tombait entre leurs mains, en 1577. Le baron de Saint-Vidal qui avait réussi à déloger l’ennemi du Malzieu tenta une expédition du côté de La Clause qu’il parvint à reprendre (53).
En 1585, Mgr De Fosseuse, de passage en ce pays, s’était emparé d’une grande partie de la provision de blé déposé au château de La Clause afin de ravitailler ses troupes. Or, ce blé appartenait au seigneur de Léotoing-Montgon qui l’avait confié à la garde des consuls de Saugues. Le blé une fois consommé, Jacques De Léotoing-Montgon vint en demander le prix aux consuls saugains qui furent contraints de le payer à beaux deniers comptants (54). Nous retrouvons ici le fameux grenier dont nous avons déjà parlé au sujet de l’étymologie du nom « La Clause ».
Le 6 décembre 1590, La Clause était reprise par les Huguenots, mais pour peu de temps. Ces luttes fanatiques se prolongeant pendant plusieurs années répandirent la misère dans cette région. Nous en avons un témoignage certain dans la lettre adressée aux gouverneurs du Gévaudan par Jean Grenier, de Grèzes, près Saugues : « A nos Seigneurs des Estatz particuliers du présent pays de Gévaudan. Supplie humblement et remonstre Jean Grenier, habitant au lieu et paroisse de Grèzes, près Salgues, homme septuagénaire, ayant dix-sept enfants en vye, que puys Vannée mil cinq cens soixante-treze que le capitaine Merle, huguenot, ce saisit de la ville du Malzieu, la première foys, et l’année mil cinq cent soixante-dix-sept que le capitaine Bau, aussi huguenot, ce saisit de La Clauze, et après luy le seigneur de Fauseuze,… prince de la ville de Mende par ledict Merle au moys de décembre 1579, et autre prinse dudict Malzieu en l’année 1585, et généralement pendant et durant toutes les guerres passées, il a souffert plusieurs foules, passaiges, logis, pertes de biens et tous ravaiges de bestail aultant qu’aultre diocézain, pour habiter en lieu de passaiges, et n’avoir aulcune forteresse audict Grèzes, pétardé dans sa maison au grand hazard de sa vie, sans la desfence que Dieu permit qu’il en fict… Ledict suppléant demande qu’on lui accorde quelque secours. » (F. Fabre, Notes hist. sur Saugues, p. 153).
Disons, en terminant ces quelques mots sur François Ier d’Espinchal, qu’il participa aux fameux Etats Généraux de 1614, lesquels furent l’occasion d’un grand conflit de prérogatives entre Aurillac et St-Flour (55). Jacques d’Espinchal (appelé aussi François), né le 5 octobre 1586, fut un fort grand seigneur : baron d’Espinchal, des Ternes et de Tagenac, seigneur de toute la terre de Massiac, de Vieillespesse, La Clause.
Il épousa, le 14 février 1611, Gasparde de La Roue, près d’Yssingeaux, veuve de Gilles-Robert de Lignerac, qui lui apporta la terre de Dunières et lui donna trois enfants :
1° — Marie, née en 1612, épousa François Robert de Lignerac.
2° —François Gabriel, né le 23 février 1615, comte de Dunières en Velay, mestre de camp d’un régiment d’infanterie, épousa Isabeau de Polignac, le 29 mars 1638, d’où naquirent deux filles. Il mourut avant son frère Gaspard, plus jeune que lui.
3° — Gaspard, né le 5 avril 1619, seigneur de Massiac et des Ternes, comte de Massiac en 1678, avait épousé, le 23 août 1644, Hélène de Levis, fille de Jean-Claude de Levis, seigneur de Chateaumorand, et de Catherine de La Baume. Il eut huit enfants et mourut en 1686.
Après son mariage, Jacques d’Espinchal se rendit insupportable, si bien que sa femme, aussitôt après la naissance de Gaspard, en 1619, se sépara de lui. Elle quitta le château de Dunières où elle vécut jusqu’à un âge avancé. Jacques d’Espinchal ne mena pas en Auvergne la vie oisive des gentilshommes campagnards. Soldat dans l’âme, il participa à quatre ou cinq batailles, et fut blessé dans toutes : il commandait les chevaux-légers du prince de Joinville.
Outre son détestable caractère, il fut mauvais administrateur de ses biens, contractant bon nombre de dettes. Etant obligé par ailleurs de servir à ses frères les droit de légitime prévue, il vendit, pour se tirer d’affaire, la seigneurie de La Clause à Christophe d’Apchier, résidant à Cereix, près de Saint-Jean-de-Nay.
Voici les principales lignes de cet acte de vente passé à Saugues, le 28 octobre 1618 :
« Jacques d’Espinchal, seigneur de Massiac, les Ternes, La Clause, vend à Christophe, comte d’Apchier, vicomte de Vazeilles (près Saugues), baron de Thoras, Cereix, St-Romain, habitant à Cereix, paroisse de St-Jean-de-Nay, évêché eu, Puy, rentière seigneurie de La Clause, consistant en château, granges, écuries, cens, rentes, justice haute, moyenne, basse, mère, mixte et impaire, droits de lods, prélation, talhabilité, chasse, amendes, confiscations, et tous autres droits et devoirs, droit de leyde accoutumé à prendre en la ville de Saugues, et la métairie du seigneur à La Clause, droit de patronage en l’église de St-Jean et de St-Antoine, et ses quatre chapellenies, de St-Blaise en la chapelle du seigneur dans l’église collégiale St-Médard de Saugues, la chapellenie de Ste-Catherine au lieu de Guyon, chapellenie Ste-Anne dans le château de La Clause,… comme en avait joui François d’Espinchal, son père, et feu Jacques de Léothoing, seigneur de Motgon et de La Clause, à la charge d’entretenir les fondations faites par les prédécesseurs du vendeur et pensions annuelles, à savoir : trois setiers, moitié seigle et moitié avoine, à chacun des quatre vicaires…
Vente faite pour la somme de 50 600 livres, de laquelle d’Apchier a payé présentement 600 lires à dame Gasparde de La Roue, consorte du seigneur d’Espinchal, pour ses épingles, et 40 000 livres que l’acheteur a promis de payer en acquittement du vendeur à Jean d’Espinchal, sieur des Tours, Pierre d’Espinchal, sieur de Nozerin, Charles d’Espinchal, sieur de Cogérât, et Claude d’Espinchal, sieur de Massiac, frères du vendeur, pour leurs droits de légitime paternelle et maternelle accordés par transaction, soit 10 000 livres à chacun des sieurs des Tours et de Cagenac au 1er septembre prochain 1619, et 5 000 livres à chacun des sieurs de Nozerin et de Massiac, le 1er septembre 1620 et 1621, les deux paiements à chacun des deux derniers, ce qui fait 40 000 livres, et les 10 000 livres restait payables au vendeur :6 6 000 livres, le 1er septembre prochain, et 2 000 à chaque 1er septembre 1620 et 162l…
Fait à Saugues, maison de Mézard Joannenc, chanoine de la ville, Jacques de Langlade, le vieux juge au balhage de Saugues, Guillaume Reynaud, châtelain de Massiac, Thomas Mazaudier, notaire royal, Antoine Bonnet, lieutenant de Montateyrac, habitant à Saint-Chély,… (56)
II serait intéressant de faire l’exégèse de ce document important,… de situer notamment d’une façon exacte l’église de St-Antoine (ne serait-ce pas celle de Verdiange dont nous cherchons vainement quelques traces depuis plusieurs années ?…),… d’expliquer quelques termes juridiques d’époque (justice haute, basse,… droits de lots, prélation,… droit de leyde,…),… mais cela nous entraînerait trop loin et risquerait d’ennuyer le lecteur.
NOTES
(42) « D’azur au griffon d’or accompagné de trois épis de même posés en pal, deux en chef et un en pointe. » Cf. Nobil. Auv. Bouillet, II, p. 409.
Le chan. P. Audigier, dans son Hist. d’Auv., donne de cette maison des armes légèrement différentes : « D’or au griffon. De sable armé et lampassé de gueules, ailé d’azur et accoté de trots épis de sable 2 et 1. »
(43) Les Dames d’EspinchaI et la baronnie de Dunières, Autos-Martin, p. 5.
(44) Bibl. Nat., fonds d’Espinchal, N° 1070, I, p. 3.
(45) « A 10 km, au S.-W de Saint-Flour, à l’intersection des trois vallées des Ternes, du Croizet et de Sériers, se dresse aujourd’hui encore le vieux château féodal des Ternes qui tire son nom de la situation même « Terne valles ». Les deux ruisseaux des Ternes et du Croizet prennent leur source dans le vaste plateau de la Planèze dominé par le Plomb du Cantal, puis se réunissent au pied du château dont les murailles ont pris avec le temps la couleur de vieilles armures rongées par la rouille ». (Le château des Ternes, A. Douet).
(46) Sieujac, fief à 8 km environ des Ternes, sur la route de Chaudes-Aigues, berceau d’une branche de la maison de Lastic.
(47) Bibl. Nat., fonds d’Espinchal, dossier bleu, N° 255. Le château des Ternes, A Douet.
(48) La terre de Massiac était entrée dans la maison dApchon par le mariage de Jeanne de La Chassaigne, dame de Massiac, avec Artaud d’Apchon, mort avant 1502. (Chabrol, Coutumes d’Auv, IV, 336). Cette terre fut érigée en comté au bénéfice de Gaspard d’Espinchal, en 1678. Il la transmit à ses descendants.
Les Ternes restèrent, après un long procès, en la possession de la descendance féminine de François II, frère aîné de Gaspard.
(49) Chronique de la maison de Lastic, marquis de Lastic, II, 229
(50) Arch. du Cantal, E 365.
(51) Imberdis, Hist. des guerres de religions en Auv., 2e éd., p. 359.
(52) Arch. du château des Croptes.
(53) Saugues, p. 153.
(54) Id. p. 154.
(55) Felgères, Scènes et tableaux de l’Hist. d’Auv. p. 70.
(56) Thiolent.